Sorties théâtre LS : Les Damnés

logo-comedie-francaise-cmjn_generiqueLes Damnés, adaptation du scénario de Luchino Visconti, Nicola Badalucco et  Enrico Medioli, mise en scène d’Ivo van Hove – Comédie Française, le 8 octobre 2016.

 

 

Créée pour le festival d’Avignon,  cette pièce a marqué, après une désertion de vingt-trois ans, le retour du Français dans la Cour des Papes. Grande particularité, il s’agit de l’entrée au répertoire de l’adaptation théâtrale d’un scénario, celui du film de Visconti. Aussi faut-il chasser les souvenirs entêtants de Charlotte Rampling, de Dirk Bogard ou d’Helmut Berger qui incarnaient les figures du drame.

La mise en scène d’Ivo van Hove n’est pas qu’un simple phénomène, un évènement médiatique, c’est d’abord et avant tout un spectacle d’une force incroyable dont le public ne peut sortir indifférent ou indemne.

Au moment où le Reichstag part en fumée, c’est toute l’Allemagne qui s’embrase et se consume sous le feu de la peste brune. Dans ce contexte pesant, nous suivons la famille Essenbeck, avatar de la famille Krupp, à l’heure des choix et des engagements politiques.

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Eric Génovèse (Wolf von Aschenbach) avec Elsa Lepoivre (Sophie von Essenbeck).

Sur scène le ballet discret de cameramen nous rappelle les liens de ce texte avec le 7ème art. Les images captées, pour l’essentiel de façon instantanée, sont offertes en arrière plan de la scène. Elles ne vampirisent jamais le jeu des comédiens (tous exceptionnels de justesse et de force avec une mention particulière pour Elsa Lepoivre, Denis Podalydès, Eric Génovèse, Christophe Montenez et Didier Sandre en patriarche égaré dans un marché de dupes) mais agissent comme le miroir de l’âme des personnages ou comme le révélateur des coulisses de leur histoire.

A la manière d’un drame shakespearien où folie, violence, Éros et soif du pouvoir s’entremêlent, le spectacle d’Ivo van Hove offre une belle complexité tout en ménageant une tension dramatique de plus en plus prégnante, soulignée par un sifflet de locomotive qui scande les morts et délimite les tableaux.

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Pierre, étudiant en khâgne, nous livre ses impressions et son analyse après la représentation :

« En ce dimanche 8, très-au vent d’octobre, quelques curieux étudiants de Khâgne et d’Hypokhâgne du Lycée Saint Exupéry ainsi que leurs professeurs de littérature se rendent à la représentation des Damnés, mis en scène par Ivo van Hove. Le public s’assoit sur les sièges rouges de la Comédie française avec une attente certaine. En effet, la pièce, adaptée du scenario de Luchino Visconti, a tout l’air d’être extraordinaire.

Cette pièce est tout d’abord une tragédie moderne, qui suit la chute aux enfers de la famille Essenbeck, largement inspirée de la famille Krupp, piliers de l’industrie lourde allemande. Cette tragédie intime prend place en pleine seconde guerre mondiale, tragédie humaine de grande ampleur. Le ton est donné, l’horreur est omniprésente, on joue avec la nudité, l’humiliation, les complexes d’Œdipe mal régulés, la violence, la folie, on se fiche bien de quelconque morale et de la bienséance. La famille, à l’image du pays dans lequel l’action se déroule, se détruit elle-même.

En plus de moderniser le genre tragique, l’œuvre de Van Hove est une révolution technique. En effet, on assiste tant à une pièce de théâtre classique avec des acteurs sur scène, qu’à un film. Les comédiens-acteurs (excellents à l’instar de Guillaume Gallienne, Denis Podalydès et du jeune Christophe Montenez) jouant sur scène sont filmés par des caméras qui se promènent çà et là à travers le plateau et qui projettent  les images en temps réel sur divers écrans répartis dans tout le théâtre. On suit les personnages sous différents angles, tant dans les coulisses, placées à même la scène que dans les recoins du théâtre invisibles à l’œil du spectateur. Si cette double vison dérange au début de la pièce, le spectateur finit par jouer avec les mécanismes que le metteur en scène lui impose. Le spectateur devient voyeur, il voit les personnages sous tous les angles et dans toute leur horreur.

Après deux heures de représentation, il est intéressant d’écouter les conversations autour de soi. La pièce qui a ouvert le 70ème festival d’Avignon dégoûte, déçoit, choque, émerveille, bouscule, fait rire (oui, oui, ne rit-on pas en effet de l’absurde ?). Les jeunes étudiants sont soufflés de cette expérience, la catharsis est faite, il faut bien le reconnaître. Ils en ressortent avec un regard nouveau, certains détestent, d’autres adorent, mais chacun réfléchit et débat à propos de ce qu’il vient de vivre individuellement.

Si le choc était un critère de valeur absolu, alors les Damnés de Van Hove serait un véritable monument culturel. Car quoi qu’il en soit cette adaptation du film de Luchino Visconti ne laisse pas indifférent, c’est un spectacle complet, horriblement humain, qui vous tient encore par les tripes bien après la fin de la séance. »

 

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