Peut-on étudier en prépa avec esprit, plaisir et efficacité, tout en se cultivant ? Retour sur un propos de rentrée et son exemple astronomique

Venant de Paris à Mantes la jolie, on peut, si on prend le train à la gare St Lazare, soit prendre le tgv qui va à Rouen, le trajet jusqu’au premier arrêt qu’est Mantes ne durant que moins d’une demi-heure, soit emprunter le train de la ligne L, qui s’arrête à toutes les petites gares intermédiaires et met plus d’une heure pour atteindre son terminus à Mantes. Dans le premier cas, on va vite mais si vite que le paysage défile à une allure qui permet difficilement qu’on goûte au plaisir de le contempler tranquillement ; dans le second cas, l’impatience de l’usager pressé est compensée par la présence plus proche des champs, des prés, des vestiges de la forêt , des églises anciennes, du cours de la Seine, qui se succèdent entre les gares du parcours, appelant le regard, au rythme tranquille d’ « un train de sénateur » si on peut dire, et que le voyageur calmé peut contempler à son aise.

Si on comparait les études suivies dans le secondaire  jusqu’au bac, au voyage effectué dans le second train, alors les études en prépa pourraient être à l’image du trajet en tgv , études dans lesquelles les connaissances doivent s’assimiler vite et bien, en suivant un train, ne disons pas d’enfer, mais élevé, de façon à être au niveau du concours dans les meilleurs délais. Ces comparaisons ferroviaires suggèrent la nature de la difficulté principale des études en prépa : apprendre vite mais bien, et, comme il n’y a pas de bon apprentissage sans une imprégnation entière de l’esprit par ce qu’il apprend, il s’agit, pour l’élève de prépa d’aller à l’allure d’un tgv tout en s’efforçant d’observer posément et complètement le paysage des connaissances à maîtriser, comme s’il avait eu tout le temps de le contempler à son aise, à un train tranquille !  Comment ainsi marcher vite, tout en prenant le temps nécessaire de l’étude complète et précise des matières au programme ?

Les considérations qui suivent visent à traiter cette difficulté, par des suggestions sur la manière d’améliorer son travail , en le rendant plus méthodique et personnel à la fois, plus précis et vif. Je remercie les élèves de la classe de MPSi qui m’ont rappelé cette introduction que j’avais oubliée entretemps, préambule en effet propre à mieux faire comprendre ce qui suit.

 

A la rentrée de septembre dernier, lors de l’accueil de l’ensemble des classes préparatoires du lycée, à la Rotonde de l’établissement, nous avons voulu souligner l’importance d’un travail vraiment personnel pour la réussite de ces années de préparation aux concours, en faisant face à la grande quantité de connaissances à assimiler dans les diverses matières et ce en suivant un rythme de travail élevé. Vraiment personnel, entendons non seulement par l’investissement de soi, mais encore par la manière de travailler, en faisant preuve d’imagination, d’ingéniosité, d’effort de comprendre complètement et concrètement ce qu’on apprend en cours et à la maison.
En effet, faire appel à son imagination et à son esprit de recherche, c’est être le plus actif intellectuellement possible, ne pas subir son apprentissage des diverses matières mais l’intégrer à la tournure et l’allure, le rythme productif de sa pensée, pour comprendre le mieux possible ce qu’on apprend, en sortant de la routine scolaire pour être davantage créatif en intelligence. C’est plus efficace et c’est plus plaisant à la fois, car on chasse alors l’ennui hors du travail, en cherchant à être inventif en méthode, en procédures de compréhension et d’application des cours suivis en classe et dans des lectures personnelles, en somme en s’appropriant méthodiquement ce qu’on apprend, en se le rendant propre à soi de façon raisonnée. Cette attitude active rend, de plus, la mémorisation plus précise, mobile et sûre, car on ne retient bien que ce qu’on a compris disait Bergson, philosophe de la mémoire, au style clair et élégant dans l’écriture, et fin connaisseur en sciences, à son époque.
Les sciences neurologiques nous l’apprennent aujourd’hui : le cerveau fonctionne mieux, il produit davantage de connexions entre les neurones lorsqu’on le stimule par la créativité intellectuelle. Ainsi, l’art, la science, la littérature, sont-ils des modèles à suivre, car ces activités entretiennent la jeunesse de l’esprit en même temps que celle du cerveau. Que ce soit une dissertation, la démonstration d’un théorème, l’interprétation d’une expérience de physique, la traduction d’un texte de langue, ou l’application compréhensive d’une théorie économique, c’est l’imagination créatrice et rationnelle qui en constitue le meilleur moteur de recherche et d’acquisition de la connaissance ! On prend goût ainsi à ce qu’on fait et on ne craint plus la masse de travail à accomplir, car on s’y sent plus imaginatif, vif, véloce et habile. On progresse à un train soutenu et on peut même prendre plaisir, comme un athlète entraîné, à ce rythme de travail élevé, parce qu’on sent qu’on s’y affûte l’esprit et qu’on renforce ses facultés, ses capacités et possibilités.

Afin d’illustrer ce propos, nous avions donné un exemple tiré de l’astrophysique, selon lequel on a observé récemment des vents de 9000 km/h dont nous avions d’abord cru à tort qu’ils soufflaient sur Neptune, alors que c’était sur des planètes extérieures à notre système solaire, des « exo-planètes », appelées les Jupiter géantes parce qu’elles sont beaucoup plus massives que Jupiter, pourtant la plus grosse planète du système solaire. Erreur de localisation de quelques centaines de millions de kilomètres ! Nos excuses, en particulier envers ceux qui voulaient aller se rendre compte sur place, car la durée du voyage passera de quelques années à quelques siècles … une paille néanmoins dans l’immensité de l’espace-temps de l’univers.

9OOO km/h, ce n’est d’abord qu’une mesure abstraite, un simple chiffre pour nous, mais si nous faisons l’effort d’imaginer ce que cela représente, c’est à couper le souffle : imaginons des vents allant à près de huit fois la vitesse du son ! Ils feraient le tour de la terre en un peu plus de quatre heures seulement et laisseraient sur place nos avions les plus rapides ! Et le vrombissement hurlant,  à crever les tympans, qu’ils produiraient en passant !
Le premier enseignement de cet exemple inimaginable, quand on essaie de l’imaginer, est que la nature produit des phénomènes extraordinaires dont on a difficilement idée ; que le cosmos, particulièrement, est un ensemble de phénomènes déroutants, par comparaison avec lesquels ce que nous connaissons sur terre semble presque tranquille, comme les tempêtes ou les ouragans qui n’y soufflent au maximum qu’à 300-400 km/h …
Cependant, le cas de Neptune est peut-être encore plus intéressant. Les vents y sont plus modérés que sur les Jupiter géantes, soufflant à entre 1700 et 2100 km/h., presque à mach 2 quand même ! Mais, tandis que sur les Jupiter géantes la chaleur semble expliquer la grande vitesse de déplacement de leurs courants atmosphériques, parce que ces planètes se situent tout près de leur étoile qui surchauffe leur atmosphère, sur Neptune, beaucoup plus éloignée du soleil que la terre, le rayonnement solaire n’est que le centième de celui que reçoit la terre ; la chaleur, trop faible, ne semble donc pas être la cause principale de ces vents supersoniques. C’est un peu comme si, avec le centième de la quantité de chaleur qu’il vous faut pour faire frémir l’eau du thé dans une toute petite casserole, votre voisin faisait bouillir à gros bouillons la soupe dans une très grosse marmite, qui demeurerait froide !

Les astrophysiciens se perdent en conjectures. Une hypothèse est que ce serait la moindre friction, à la surface liquide de Neptune, qui faciliterait l’acquisition de grandes vitesses par les vents, alors que sur terre, ils sont considérablement ralentis par le relief solide des continents, composé de falaises sur les côtes, de hauts plateaux et de montagnes à l’intérieur des terres. Mais ce facteur ne suffit pas, loin de là, à expliquer entièrement le phénomène.

Là est le second enseignement de l’exemple : une explication qui paraît suffisante dans le contexte limité de la terre, à savoir que les vents seraient dus à l’inégale répartition de la chaleur issue du soleil dans l’atmosphère, qui produit des inégalités de pression, ces dernières engendrant les déplacements de l’air, cette explication ne suffit plus quand on élargit le contexte en considérant ce qui se passe sur d’autres planètes.

Phénomènes extraordinaires et spectaculaires, insuffisance des explications scientifiques jusque là admises et qu’on croyait complètes et définitives ; à l’exemple des vents surpersoniques de Neptune, l’observation de la nature, si on prend la peine d’en prendre connaissance précisément et d’en concevoir les résultats par l’imagination personnelle, peut se révéler passionnante. Par l’imagination, elle change notre regard sur la réalité et nous fait comprendre mieux ce qu’est la science : non pas un savoir figé et abstrait, définitivement acquis, mais une recherche perpétuelle qui va de découverte en découverte, qui progresse en connaissance et en perfectionnement de la pensée, mais découvre de plus en plus l’étendue considérable de ce qu’on ignore encore et  l’infinie richesse, déroutante et vertigineuse, de la nature. Newton, parlant de sa théorie de l’attraction universelle, qui explique l’interaction gravitationnelle de tous les corps dans l’univers entier, disait qu’il se faisait l’impression de n’être qu’un enfant, n’ayant pu ramener qu’un seul galet  parmi ceux d’une immense plage …

Nous nous sommes limité, dans cet article, à un exemple d’ordre scientifique, mais on pourrait en donner d’autres, susceptibles eux-aussi de montrer le rôle déterminant d’une prise de conscience ( les anglophones parleraient d’une « réalisation » ) par l’imagination personnelle de ce qu’on apprend en classe ou dans les livres, que ce soit des exemples tirés de l’économie, de l’histoire, de l’art ou de la littérature, sans oublier ceux de la philosophie.

Pouvoir prendre ainsi conscience, chacun personnellement, par sa propre imagination attentive et active, de la richesse des enseignements de la culture, dans le contexte stimulant d’un apprentissage intense et de haut niveau, voilà une bonne raison, quoique ce ne soit pas la seule évidemment, d’entrer en classe préparatoire ; effort d’intelligence personnel qui rend d’autant plus efficace et fructueux l’apprentissage des diverses matières, que ce soit en classes littéraires, économiques, ou scientifiques

 

Martin Pham ( philosophie, khâgne )

 

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